Articles sur le thème action:

L'action

Il y a une ambiguïté dans le terme action. Elle n'est pas chez Spinoza, mais plutôt chez nous, c'est à dire dans le sens que nous attribuons au mot. Pour Spinoza, il faut différencier action et passion. Dans l'action il se produit quelque chose dont je suis cause adéquate. Dans la passion, il se produit quelque chose dont je ne suis pas entièrement cause adéquate, ou dont je suis cause partielle.
Or dans le sens habituel du mot, nous "agissons" toujours. Une action est le résultat de la mise en mouvement de mon corps pour faire quelque chose.
Il faudrait donc parler de geste: un geste, c'est à dire la mise en mouvement de mon corps, serait une action ou une passion, selon que je suis la cause adéquate de ce geste, ou que je n'en suis que la cause partielle.
On comprend mieux avec cette distinction la difficulté qu'il y a de parler d'action en commun.
Si plusieurs personnes veulent agir "ensemble", c'est à dire d'une certaine manière se coordonner pour faire quelque chose, il faut alors concevoir que cette action puisse être action véritable ou passion. Il nous manque de fait ce terme de geste, pour définir la mise en mouvement des différents corps.
A plusieurs, pour agir, il faut arriver à être ensemble cause adéquate du geste. Sinon, on pâtit.
Il y a là une difficulté nouvelle: plusieurs modes peuvent ils s'associer pour être ensemble cause adéquate de quelque chose
On peut imaginer que c'est cela le commun.

Devenir

On peut considérer que chaque instant de notre vie est un passage qui s'accomplit. Nous effectuons de manière instantanée notre puissance d'agir et cela nous transforme, de manière infinitésimale. L'accumulation de ces transformations infimes finit par produire une transformation de notre être,  c'est à dire de notre corps et de notre esprit. Ainsi, graduellement, nous sélectionnons une ligne de vie, en ce sens où nous devenons tel ou telle, alors que nous aurions pu devenir tel ou telle autre. Ces infimes transitions sont notre façon de nous inscrire dans la durée. Elles sont aussi le lieu de notre liberté.  Si rien ne changeait, si il n'existait pas cette plasticité de l'instant, alors nous ne serions pas vivant. La question que Spinoza veut que nous nous posions est relative à ce que nous faisons de ces instants: sommes nous aux commandes de nous-mêmes,  ou subissons-nous le monde qui nous influence et nous détermine? Agissons-nous ou bien pâtissons -nous?

Situation et imagination

Peut-on être autrement qu’ « en situation » ?
Oui. Nous pouvons être « en imagination ».
Cela veut dire qu’être « en situation », c’est être présent, là physiquement, et être en relation avec des choses où des êtres qui eux mêmes sont présents à nous. Alors, nous composons des rapports avec ces êtres et ces choses.
Lorsque ces êtres et ces choses ne sont présent à nous que sous forme d’idées, nos sommes en imagination. Alors nous pouvons imaginer que nous composons des rapports avec eux. Et cette imagination peut produire des affects qui ressemblent à ceux que produisent la situation.
Il mes emble qu’une grande partie de l’éthique concerne le discernement des ces deux manières d’être.
Il s’agit principalement de comprendre les mécanismes qui font que l’imagination vient se superposer à la situation et perturbe de manière inadéquate notre compréhension de la situation.
Là où les choses se compliquent, c’est l’imagination est toujours là. Même quand nous « collons » au plus près de la situation. Car l’imagination est ce petit temps d’avance, cette projection imperceptible, ce déséquilibre de nous-mêmes qui nous projette dans l’instant d’après. L’imagination est un des ingrédients de la persévérance en nous même.
Et l’imagination peut être calcul où rêve. Et elle peut être calcul adéquat ou rêve actif, et calcul erroné ou rêve passif. Augmentation de notre puissance d’un côté. Affaiblissement de l’autre.
Prenons un exemple.
Je suis au bord d’une rivière torrentielle, et une personne est en train de se noyer.
C’est une situation.
Ici, l’on sent bien que cette situation requiert du calcul. Chaque mouvement que je vais faire va accroître ou diminuer mes chances de réussir. Mais l’on sent de fait qu’il y a aussi de l’imagination : je dois « rêver » de secourir cette personne. Il faut qu’en moi se forme l’image de moi nageant, agrippant, remorquant le noyé…sans ce désir, qu’après j’appellerai volonté, courage etc, sans ce désir, donc, je n’irai pas. Il faut qu’un moi imaginaire s’élance d’abord dans les flots, m’entraînant à sa suite.
C’est le désir qui nous projette dans la situation.
Ensuite, pour nous et celui qui se noie, tout est affaire d’adéquation.
Arriver à faire ce qu’il convient de faire, en fonction de ce que nous sommes et de ce dont nous sommes capables. Ni plus ni moins.