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Devenir

On peut considérer que chaque instant de notre vie est un passage qui s'accomplit. Nous effectuons de manière instantanée notre puissance d'agir et cela nous transforme, de manière infinitésimale. L'accumulation de ces transformations infimes finit par produire une transformation de notre être,  c'est à dire de notre corps et de notre esprit. Ainsi, graduellement, nous sélectionnons une ligne de vie, en ce sens où nous devenons tel ou telle, alors que nous aurions pu devenir tel ou telle autre. Ces infimes transitions sont notre façon de nous inscrire dans la durée. Elles sont aussi le lieu de notre liberté.  Si rien ne changeait, si il n'existait pas cette plasticité de l'instant, alors nous ne serions pas vivant. La question que Spinoza veut que nous nous posions est relative à ce que nous faisons de ces instants: sommes nous aux commandes de nous-mêmes,  ou subissons-nous le monde qui nous influence et nous détermine? Agissons-nous ou bien pâtissons -nous?

Tracer un cercle

Revenons sur cette idée du cercle.
Je suis devant ma feuille et je m'apprête à dessiner un cercle.
En réalité, il existe une infinité de cercles possibles. Sans parler de ces quasi cercles, c'est à dire de formes qui s'approchent suffisamment du cercle pour ressembler à un cercle, mais qui ne sont que des approximations, parce que le tracé est irrégulier, erroné du point du vue de l'essence du cercle, mais assez approchant pour que cela fasse affaire de cercle.
Il doit donc y avoir quelque part un principe de sélection qui fait que je vais tracer un cercle à l'encre rouge plutôt qu'au crayon de papier, que je vais faire un beau cercle au compas plutôt qu'un pseudo cercle à main levée. Il ne s'agit pas ici de nécessité, mais bien de choix préalable. Il s'agit de l'idée de cercle telle qu'elle se forme dans mon esprit.
Il s'agit donc d'une pensée. D'un mode de l'Esprit.
Alors oui. Peut être que la volonté, c'est cela: notre capacité à sélectionner certains modes de l'esprit, certaines idées. Notre liberté s'exprime ainsi: nous pouvons penser délibérément telle ou telle forme, telle ou telle action. Nous pouvons nous concentrer dessus, la visualiser.
Mais quand il s'agira de l'exécuter, de la réaliser, de l'exprimer, là notre volonté sera superflue, voire contre-productive: il suffit de l'entendement, du calcul raisonnable, et ce qu'il y a à faire s'imposera à nous. C'est finalement une sorte de lâcher prise qu'il faut opérer: laisser notre corps accomplir ce qu'a calculé notre esprit.
Mais pour cela, il faut de l'entraînement. Le corps n'est pas habitué à e qu'on lui fasse confiance. Et la volonté "parasite" s'infiltre constamment entre les interstices du mouvement pour le perturber, le faire dérailler.
Si nous ne traçons pas un cercle bien rond, c'est d'abord parce que nous "voulons" trop.
Si nous nous laissions porter par l'idée de cercle, par la sensation du cercle...alors notre cercle serait parfait.


Volonté

Il est parfois difficile de comprendre ce que veut dire Spinoza quand il déclare que la volonté n'existe pas. Il me semble qu'en général, on ne traduit pas bien le fait que ce qu'il entend par volonté est assez particulier: il y a pour lui identité entre la volonté et l'entendement.
J'ai mis du temps, personnellement à me faire une idée claire de ce point. Mais je crois maintenant comprendre.

Imaginons par exemple que je m'apprête à dessiner un cercle. Il peut y avoir plusieurs raisons pour cela: je peux être un architecte qui dresse le plan d'une maison et qui doit dessiner une pièce ronde; ou bien je suis un peintre qui veut dessiner une assiette; ou encore, je suis un élève qui doit traduire un énoncé de problème de géométrie et qui pour cela doit tracer un cercle, ou encore, je suis simplement là, devant une feuille de papier, avec l'envie, le désir de tracer un joli cercle, juste parce que cela me plaît de la faire...

L'important, c'est que dans tous les cas, je m'apprête, c'est à dire qu'il y a en moi l'idée d'un cercle, et mon corps se met en mouvement pour exprimer cette idée.

Admettons alors que tout n'est pas possible: il y a des manières adéquates et non adéquates pour tracer ce cercle. Il y a des gestes, des compositions de mouvement, des rapports que je vais établir avec la feuille, le crayon, un compas etc qui produiront un cercle, et d'autres qui produirons autre chose.

C'est à mon sens dans ce champ là que Spinoza nous dit qu'il n'y a pas de volonté: pour faire un cercle, il va être nécessaire de faire certaines choses, de procéder d'une certaine manière. Bien sûr, il n'y a pas qu'une manière, et il est aussi possible de tracer une infinité de cercles. Pire encore, il est possible de faire des cercles plus ou moins parfaits, ou plutôt, de tracer des formes qui se rapprochent plus ou moins de la perfection du cercle.

Mais au fond, il n'y a qu'une manière (ou plusieurs manières qui seront alors équivalentes) d'exprimer de façon adéquate l'idée de cercle que nous nous apprêtions à dessiner.

Notre volonté doit donc s'incliner devant notre entendement, c'est à dire la compréhension que nous avons de la situation, qui nous permet de jauger les outils à notre disposition, notre pratique de ces outils, notre savoir faire etc et qui va nous indiquer le meilleur chemin. D'une certaine manière, Spinoza nous dit que, dans une situation donnée, notre entendement "calcule" le chemin...après il en nous reste plus qu'à faire selon ce calcul.

Si notre volonté s'en mêle, si nous décrétons que nous allons faire ce cercle à main levée plutôt qu'au compas alors que nous n'avons aucun entrainement en matière de dessin à main levée,il est vraisemblable que nous n'obtenions pas le résultat voulu.

Bien sûr reste la question: pourquoi faire un cercle? N'y a-t-il pas là, dans l'expression de ce désir, l'affirmation d'une volonté?