Il est parfois difficile de comprendre ce que veut dire Spinoza quand il déclare que la volonté n'existe pas. Il me semble qu'en général, on ne traduit pas bien le fait que ce qu'il entend par volonté est assez particulier: il y a pour lui identité entre la volonté et l'entendement.
J'ai mis du temps, personnellement à me faire une idée claire de ce point. Mais je crois maintenant comprendre.
Imaginons par exemple que je m'apprête à dessiner un cercle. Il peut y avoir plusieurs raisons pour cela: je peux être un architecte qui dresse le plan d'une maison et qui doit dessiner une pièce ronde; ou bien je suis un peintre qui veut dessiner une assiette; ou encore, je suis un élève qui doit traduire un énoncé de problème de géométrie et qui pour cela doit tracer un cercle, ou encore, je suis simplement là, devant une feuille de papier, avec l'envie, le désir de tracer un joli cercle, juste parce que cela me plaît de la faire...
L'important, c'est que dans tous les cas, je m'apprête, c'est à dire qu'il y a en moi l'idée d'un cercle, et mon corps se met en mouvement pour exprimer cette idée.
Admettons alors que tout n'est pas possible: il y a des manières adéquates et non adéquates pour tracer ce cercle. Il y a des gestes, des compositions de mouvement, des rapports que je vais établir avec la feuille, le crayon, un compas etc qui produiront un cercle, et d'autres qui produirons autre chose.
C'est à mon sens dans ce champ là que Spinoza nous dit qu'il n'y a pas de volonté: pour faire un cercle, il va être nécessaire de faire certaines choses, de procéder d'une certaine manière. Bien sûr, il n'y a pas qu'une manière, et il est aussi possible de tracer une infinité de cercles. Pire encore, il est possible de faire des cercles plus ou moins parfaits, ou plutôt, de tracer des formes qui se rapprochent plus ou moins de la perfection du cercle.
Mais au fond, il n'y a qu'une manière (ou plusieurs manières qui seront alors équivalentes) d'exprimer de façon adéquate l'idée de cercle que nous nous apprêtions à dessiner.
Notre volonté doit donc s'incliner devant notre entendement, c'est à dire la compréhension que nous avons de la situation, qui nous permet de jauger les outils à notre disposition, notre pratique de ces outils, notre savoir faire etc et qui va nous indiquer le meilleur chemin. D'une certaine manière, Spinoza nous dit que, dans une situation donnée, notre entendement "calcule" le chemin...après il en nous reste plus qu'à faire selon ce calcul.
Si notre volonté s'en mêle, si nous décrétons que nous allons faire ce cercle à main levée plutôt qu'au compas alors que nous n'avons aucun entrainement en matière de dessin à main levée,il est vraisemblable que nous n'obtenions pas le résultat voulu.
Bien sûr reste la question: pourquoi faire un cercle? N'y a-t-il pas là, dans l'expression de ce désir, l'affirmation d'une volonté?