Ce qui est juste
Il y a en français une ambiguïté de sens autour du mot «juste».
Juste signifie à la fois «mérité» (on dira d’une décision qu’elle est juste si elle attribue à chacun selon son mérite, ses nécessités etc) et adapté (on parlera du mot «juste», c'est-à-dire qui convient).
On retrouve dans l’Ethique ces deux notions.
D’abord, il y a ce qui est juste car correspondant à l’essence des choses. Il est «juste» que le chat mange la souris car il est dans l’essence du chat de manger des souris. C’est ce que Spinoza rappelle à propos de l’Etat de nature. Il ne s’agit pas bien sûr simplement d’une «loi du plus fort». Cela implique aussi qu’il est juste pour le généreux d’agir pour les autres, pour le jardinier de faire pousser ses tomates, pour l’ambitieux de mener sa carrière etc. Il s’agit d’une sorte d’expression des talents de chacun, selon sa nature.
D’une certaine manière, cela veut dire que si mon désir est orienté vers l’accomplissement d’une chose, et si ma puissance d’agir me permet de réaliser cette chose, alors il est «juste» que je la réalise.
Bien sûr, cette notion du juste choque, car elle signifie que l’assassin assassine justement.
D’où la deuxième notion, celle d‘adapté, d’adéquat.
Est-il adéquat que l’assassin assassine?
Voilà une question étrangement posée. A laquelle il est cependant simple de répondre.
Vu de l’assassin, cela pourrait être juste, car conforme à sa nature.
Vu de la victime, cela ne l’est pas. Il n’est pas dans la nature de quiconque d’être assassiné.
Donc, du point de vue de la situation, il se passe quelque chose d’injuste.
Notons qu’il y a là une différence fondamentale d’avec la situation du chat et de la souris.
Car si le chat mange la souris, si le chat est carnivore, c’est avant tout pour persévérer dans son être. Et pour cela, il doit manger des souris.
Or dans notre cas, l’assassin ne persévère pas dans son être en assassinant.
On sent cependant qu’il y a là une sorte de paradoxe. Une tentation qui pourrait être la notre de «comprendre» l’assassin, de justifier (tiens, drôle de mot) son comportement au vu de son histoire, des évènements qui l’ont amené à être ce qu’il est, à cet instant donné. C’est d’ailleurs ce que fera l’avocat, au tribunal, qui plaidera des circonstances atténuantes comme vraies causes de l’acte commis.
Double sens, donc, jusqu’à la contradiction: il est juste, logique, nécessaire au vu de l’histoire de l’assassin qu’il assassine, mais il est injuste, inadéquat, inadapté qu’il agisse, lors de sa rencontre avec la victime, en l’assassinant.
Et c’est là que se situe tout le travail de l’Ethique. Comprendre ce qui s’exprime en nous, dans le cadre de notre désir, et confronter cela à ce qui se joue dans les situations que nous vivons. Il ne s’agit donc pas de condamner nos désirs en tant que tels, mais de s’interroger constamment sur ce que nous faisons, et ce qu’il conviendrait de faire. D’une certaine manière, l’éthique, c’est élargir et intensifier notre raisonnement, s’habituer à réfléchir sur notre action, et raccourcir le temps qui sépare cette réflexion de l’action elle-même, pour que dans le même éclair, nous agissions en nous assurant que cela convient.
Notons que l’idée du «cela convient»veut dire «cela me convient» et «cela convient à la situation». L’Ethique est une pensée de l’intérieur et de l’extérieur. Une pensée systémique. Elle me saisit en tant que système propre (avec mes organes, mon corps, ma mémoire, mon histoire, mes capacité etc) et en tant que membre d’un système plus large (la société, la nature, Dieu).
Il me semble que le passage de la connaissance du premier genre au second genre, c’est celui de l’approfondissement de ma compréhension mon système et du système de la société. Letroisième genre, c’est l’inclusion de Dieu dans le système.
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