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Composition poétique

Lorsque l’on compose une forme poétique, que ce soit par le chant, par le dessin, l’écriture etc, nous mettons en œuvre un geste. Ce geste est le prolongement d’une technique. Bien sûr, on peut imaginer un geste « aléatoire », un geste dénué de maîtrise technique. Qu’est ce que cela veut dire ? Cela signifie que le geste s’accomplit sans que le corps n'ait appris la maîtrise du geste. La différence entre un calligraphe chinois qui trace un idéogramme et moi-même qui tenterais de dessiner avec un pinceau chinois, c’est que mon corps n’a intégré préalablement aucun des gestes, des sensations liés à la maîtrise du mouvement du pinceau. Et mon esprit, n’a élaboré aucune idée de ces gestes. La notion de résistance de la pointe, la glisse du pinceau, les effets de lenteur et de vitesse, de changement de direction, d’inclinaison…rien de tout cela n’a été en moi ressenti ni pensé, c'est-à-dire ne s’est élaboré, modifié, affiné au fur et à mesure d’une pratique de ces mêmes gestes.

Il y a donc une énorme différence entre ce calligraphe et moi, alors que nous nous tenons, notre pinceau en main, face à la feuille. Cette différence se loge dans la mémoire, dans l’histoire de nos corps.

Cette différence est un état de fait. Elle ne signifie rien du point de vue esthétique. Elle ne préjuge pas de ce qu’il va se passer.

Elle dit simplement que, du point de vue du geste, la capacité du calligraphe à exécuter des compositions de mouvements complexes est plus élevée. Sa puissance d’agir est plus importante que la mienne.

Mais il se peut aussi que, par ailleurs, son esprit soit « conditionné » par des idées. Ou plutôt, qu’un certain nombre d’idées limitent les gestes possibles, en les restreignant à ceux d’une tradition, d’une école, d’une pratique technique donnée.

En apprenant l’art de la calligraphie, le calligraphe a appris à respecter le travail des anciens, il a intégré des principes d’harmonie, d’équilibre, de dynamique. Il admire sûrement certaines oeuvres qui pour lui atteignent la perfection. Il a donc formé son jugement sur la calligraphie, et ce jugement comporte une part d’exclusion : il ne lui viendrait pas à l’idée de peindre avec son pinceau entre les dents, ou d’utiliser du dentifrice plutôt que de l’encre. A la fois en ce qui concerne la technique et son mode de mise en œuvre, et l’objet de son travail (l’oeuvre), il s’est donc enfermé dans un cadre normatif.

Il faut bien comprendre ce que signifie cette limite : cela veut dire qu’il n’a jamais expérimenté, par le geste, des attitudes, des techniques, des pratiques qui sont possibles, mais dont il a décidé qu’elles étaient « erronées ». Il est vraisemblable qu’il n’a pas « décidé » seul de s’interdire ces chemins, mais qu’il a intégré là jugement des ses professeurs, de ses maîtres. Ou encore plus précisément : lorsque parfois son geste s’est aventuré dans une zone d’imperfection au sens de la technique, il a émis un jugement négatif sur ce geste et a ramené sa pratique dans le champ de ce qu’il connaissait comme adéquat (nb il serait intéressant ici de s’attacher à comprendre ce qui arrive lorsque le geste est « faux », ou plutôt insatisfaisant, mauvais…il faudrait essayer d’analyser cela en terme de composition de rapports et de d’affections…par exemple, imaginons l’accident, la goute d’encre qui tombe de manière incontrôlée et vient gâcher un travail précis…qu’est ce que nous dit cette goutte d’encre ? Est-elle une maladresse, une erreur, une faute ? En soi, elle n’est qu’un rapport que compose l’encre avec le papier, rapport qui vient modifier un ensemble de rapports qui sont ceux que chacun des traits de pinceau a déjà noué avec le papier, ainsi que des rapports de rapports qui sont les rapports que chaque trait entretien avec les autres etc. Donc la goutte d’encre est un rapport qui modifie une composition de rapports.

Mais allons plus loin : lorsque la goutte est tombée, c’est qu’un rapport s’est détruit. En effet, le rapport qu’entretenait l’encre avec les poils du pinceau, le rapport de cohésion des gouttes d’encre entres-elles, ce rapport que le peintre avait initialement composé de part son geste en plongeant le pinceau dans l’encre, ce rapport est détruit partiellement puisqu’une une goutte tombe du pinceau, c’est à dire entre dans un nouveau rapport.

Allons encore plus loin. Lorsque le goutte tombe, elle est entrée dans un rapport nouveau avec le champ gravitationnel : la forme de la goutte, sa vitesse, tout cela sont des re-compositions de rapports qui dépendent de la nature physico-chimique de l’encre et de l’interaction avec le champ gravitationnel.

Et à cet instant là, le peintre n’est plus dans le rapport. La goutte tombe seule, livrée à elle-même.

On peut donc dire, vis-à-vis du peintre, que ce qui se passe est mauvais, car un rapport est détruit.)

De ce fait, ce qui va surgir lorsque nous commencerons à peindre peut paraître plus prévisible en ce qui le concerne qu’en ce qui me concerne.

En effet, n’ayant aucun schéma préalable, je suis fort de ma liberté créative. Mon esprit ne bridera pas mon geste. Je ne m’interdirai rien.

Mais cela veut il dire que tout m’est possible ? En théorie, oui. On pourrait imaginer une sorte de facilité naturelle qui me donne accès à une capacité à maîtriser le pinceau identique à celle que le calligraphe a acquise en travaillant. Je pourrais être « doué ». Et par ailleurs, n’ayant pas intégré toute sorte de jugements, je pourrais être à même de m’aventurer dans n’importe quelle direction.

A suivre

Idée adéquate et forme poétique

Il faut creuser le fait que dans le concept d'idée adéquate, il y a la notion de vérité "en soi" (et non d'adéquation entre l'idée et l'objet de l'idée), notion que l'on retrouve à mon sens lorsque, à l'issue d'un travail artistique, on considère avoir atteint la forme poétique recherchée (ou nécessaire). Cette forme poétique s'impose en soi, sans rapport aucun avec quelque réalité objective. Or, ce qui est étonnant, c'est que "n'importe quoi" ne constitue pas une forme poétique "adéquate".

Agir

La distinction qu'opère Spinoza entre l'Esprit et le Corps mérite d'être considérée lorsque l'on s'intéresse à l'action publique.

Agir suppose la mis en mouvement de nombreux corps. Les "acteurs", que les sociologues ou les penseurs politique considère comme éléments d'un système (celui de l'action) sont en fait des corps, à même de faire ou non des actions élémentaires avec leurs mains, pieds etc. Rien n'existe, dans le monde réel de l'action, si à l'origine il n'y a pas un mouvement. Même dans le cas de machines complexes, il faut pour le moins la frappe sur un clavier pour déclencher une action. L'esprit seul, les idées, les mots, les concepts...tout cela ne "produit" rien sauf à être relayé par les corps. Une réglementation, un budget dédié à une action...tout cela est stérile, impuissant si une multitude de corps ne se mettent pas en action. Après un ouragan, on peut voter des crédits de reconstruction, mais il faudra trouver des pelles, des pioches, des bras pour reconstruire. Voilà par exemple pourquoi Tchernobyl, Fukushima sont encore des problèmes et pour longtemps: c'est le monde physique corporel qui s'avère incroyablement difficile à "manipuler".

La puissance d'agir est alors la capacité à mettre en mouvement ces corps pour qu'ils produisent des effets adéquats.

L'action complexe

Ce à quoi la puissance publique fait face, c'est autant à la complexité intrinsèque de "ce qui est à faire" qu'à la complexité résultant du "comment faire".
Il faut donc s'intéresser à la puissance d'agir, comme manifestation de notre capacité réelle à agir pour prendre en charge les problèmes.
Et comprendre que le pouvoir n'implique pas forcément la puissance d'agir.
L'on pourrait même peut-être qualifier de complexe toute situation où il est nécessaire d'agir, mais où le pouvoir n'est pas en mesure de libérer la puissance d'agir nécessaire à l'action adéquate.
Nous retrouvons là la réflexion de Spinoza sur la volonté, sur l'impuissance de la volonté à gouverner les affects, et donc sur la primauté du conatus.
Intuitivement, on sent que le pouvoir, comme instrument de la volonté du décideur, est entaché de la même impuissance que la volonté individuelle face à la puissance du conatus.

Déroutante métaphysique

La partie I, "De Dieu", qui début l'Ethique déroute le lecteur contemporain. Elle fait plus que le dérouter: elle le décourage. Au delà de la complexité (l'on pourrait presque parler de technicité) du vocabulaire de la métaphysique, le sens, le fond nous échappe. Faut il donc en passer par Dieu pour parler de la morale? N'est ce pas l'inverse que nous recherchons, nous, hommes modernes du XXIème siècle? Une philosophie "autonome" détachée de la notion de Dieu, mais qui s'ancre dans la vie et nous aide à donner sens au monde dans lequel nous vivons?
Il est donc difficile de suivre cette partie de la démonstration. Personnellement, j'ai vite abandonné imaginant qu' il y avait là une sorte d'exercice obligatoire lié au contexte historique d'écriture du texte. Un rattachement à Dieu nécessaire suscité par la crainte, sinon, d'une censure des autorités religieuses. Avec un peu de recul, maintenant, je commence à comprendre la raison de cette partie introductive. La raison fondamentale.
J'y reviendrai plus tard.

Sur la volonté

Si la volonté n'est rien, comment est il possible de s'engager sur le chemin de l'Ethique? Il faut bien, initialement, "décider" que l'on veut changer. Ou alors, seul ceux qui sont déterminés à cela suivent un tel chemin?
Il me semble que la réponse, ce sont les autres: ce qui va me faire changer, c'est l'autre, c'est la rencontre de celui ou celle qui va m'éclairer, m'inspirer, me pousser à rechercher ce chemin d'amélioration.

Sur le commun

Ethique part IV (De la servitude humaine)

Chapitre XIV
"ainsi donc, bien que les hommes, pour la plupart, dirigent toutes leurs affaires selon les désirs sensuels,il suit cependant de leur société commune plus d'avantages que d'inconvénients. C'est pourquoi il est préférable de supporter leurs offenses d'une âme égale, et d'appliquer son effort à ce qui sert l'association dans la concorde et l'amitié."

Chapitre XV
"Ce qui engendre la concorde se rapporte à la justice, à l'équité et à l'honnêteté"

Les affects

Les affects sont la catégorie générique des affections qui touche le corps: par exemple, la Jalousie est un affect, et lorsque je suis jaloux, cela signifie que mon corps subit une affection qui est la jalousie. Lorsque nous sommes dans l'ignorance de nous-mêmes, nous ressentons des affections et nous les subissons: elle s'expriment en nous. Mais si nous n'avons pas une idée claire des affects, alors nous ne pouvons pas comprendre ces affections, et nous ne pouvons agir sur elles.
Bien sûr, il ne suffit pas de comprendre pour agir. Je peux avoir une idée claire de ce qu'est la Jalousie en tant qu'affect, et ne pas arriver à m'en prémunir. Ce passage de la compréhension à l'action est le sujet de l'Ethique. C'est par la compréhension intuitive du 3ème genre que j'arriverai à agir de manière adéquate.

L'idée de l'idée

C'est à la base de la connaissance du 3ème type: avoir des idées, et une idée claire de nos idées. Par exemple, si je dis: cet homme est injuste, c'est adéquat si j'ai en mois une bonne idée de l'idée "d'injuste". Si ma compréhension de l'injuste est erronée, l'idée que je me fait sur cet homme l'est aussi.
Quand on y pense, dans notre monde de tous les jours, nous passons peu de temps à nous accorder sur "l'idée des idées"
Le commun, finalement, c'est partager des idées et s'accorder sur l'idée de ces idées