Articles sur le thème situation:

Complexité

Au fond, l’éthique est une façon d’essayer de situer l’homme dans la complexité du monde : complexité des choses qui l‘entourent, des évènements qui perturbent sa vie, des émotions qui l’affectent…C’est bien parce que notre relation au monde est complexe que le travail de l’éthique peut nous être utile : en nous préparant à être mieux disposer à être affecté, et en nous rendant plus capable d’affecter, l’éthique nous facilite la vie. Non pas en ôtant à notre vie son intensité : il ne s’agit pas de simplifier. L’éthique n’est pas une ascèse du renoncement. Ce qui est facilité par l’éthique, c’est notre progression, notre trajet de la situation A à la situation B. Avec l’éthique, quand nous sommes dans la situation A, nous comprenons mieux les nécessités requises pour que le trajet vers la situation B soit possible. Nous comprenons notamment mieux notre capacité à agir et notre propension à pâtir entre cet A et ce B. Ce qui fait qu’en chemin, peut-être nous renoncerons à B, pour lui préférer C. Ou au contraire, nous confirmerons et amplifierons notre désir de B par la joie de l’affirmation de notre puissance en acte, orientée vers ce B, comme une nécessité agissante issue du plus profond de nous-mêmes.
L’éthique est une manière de prendre soin de nous même, par l’acquisition d’une compétence particulière, liée à notre capacité de réévaluer nos désirs à l’aune de la joie réelle qu’ils nous procurent. Peut être que l’éthique comporte une bonne part, dans un premier temps, d’évitement. Apprendre à éviter les situations qui nous attristent, nous diminuent. Cela ne veut pas dire pour autant fuir. Mais déjà nous libérer de la part de tristesse dans nos existences qui, une fois supprimée, ne change rien au monde dans lequel nous somme, mais qui tant qu’elle demeure, nous affecte inutilement.

Devenir

On peut considérer que chaque instant de notre vie est un passage qui s'accomplit. Nous effectuons de manière instantanée notre puissance d'agir et cela nous transforme, de manière infinitésimale. L'accumulation de ces transformations infimes finit par produire une transformation de notre être,  c'est à dire de notre corps et de notre esprit. Ainsi, graduellement, nous sélectionnons une ligne de vie, en ce sens où nous devenons tel ou telle, alors que nous aurions pu devenir tel ou telle autre. Ces infimes transitions sont notre façon de nous inscrire dans la durée. Elles sont aussi le lieu de notre liberté.  Si rien ne changeait, si il n'existait pas cette plasticité de l'instant, alors nous ne serions pas vivant. La question que Spinoza veut que nous nous posions est relative à ce que nous faisons de ces instants: sommes nous aux commandes de nous-mêmes,  ou subissons-nous le monde qui nous influence et nous détermine? Agissons-nous ou bien pâtissons -nous?

Situation et imagination

Peut-on être autrement qu’ « en situation » ?
Oui. Nous pouvons être « en imagination ».
Cela veut dire qu’être « en situation », c’est être présent, là physiquement, et être en relation avec des choses où des êtres qui eux mêmes sont présents à nous. Alors, nous composons des rapports avec ces êtres et ces choses.
Lorsque ces êtres et ces choses ne sont présent à nous que sous forme d’idées, nos sommes en imagination. Alors nous pouvons imaginer que nous composons des rapports avec eux. Et cette imagination peut produire des affects qui ressemblent à ceux que produisent la situation.
Il mes emble qu’une grande partie de l’éthique concerne le discernement des ces deux manières d’être.
Il s’agit principalement de comprendre les mécanismes qui font que l’imagination vient se superposer à la situation et perturbe de manière inadéquate notre compréhension de la situation.
Là où les choses se compliquent, c’est l’imagination est toujours là. Même quand nous « collons » au plus près de la situation. Car l’imagination est ce petit temps d’avance, cette projection imperceptible, ce déséquilibre de nous-mêmes qui nous projette dans l’instant d’après. L’imagination est un des ingrédients de la persévérance en nous même.
Et l’imagination peut être calcul où rêve. Et elle peut être calcul adéquat ou rêve actif, et calcul erroné ou rêve passif. Augmentation de notre puissance d’un côté. Affaiblissement de l’autre.
Prenons un exemple.
Je suis au bord d’une rivière torrentielle, et une personne est en train de se noyer.
C’est une situation.
Ici, l’on sent bien que cette situation requiert du calcul. Chaque mouvement que je vais faire va accroître ou diminuer mes chances de réussir. Mais l’on sent de fait qu’il y a aussi de l’imagination : je dois « rêver » de secourir cette personne. Il faut qu’en moi se forme l’image de moi nageant, agrippant, remorquant le noyé…sans ce désir, qu’après j’appellerai volonté, courage etc, sans ce désir, donc, je n’irai pas. Il faut qu’un moi imaginaire s’élance d’abord dans les flots, m’entraînant à sa suite.
C’est le désir qui nous projette dans la situation.
Ensuite, pour nous et celui qui se noie, tout est affaire d’adéquation.
Arriver à faire ce qu’il convient de faire, en fonction de ce que nous sommes et de ce dont nous sommes capables. Ni plus ni moins.