Une des sources de confusion que pointe Spinoza a trait aux énoncés, à la façon dont nous attribuons, et nous acceptons que soit attribué, par la parole, du sens aux situations. Quand il commente les écritures, Spinoza effectue un travail de «décapage» du sens, c’est à dire qu’il tente de montrer que souvent, celui qui écrit, ou celui qui commente, crée lui-même un sens qui d’emblée est en fait une confusion.
Ainsi, ce matin, à la radio, j’entends (à peu près) ceci à propos de l’Ukraine: «la Russie, qui sur la scène internationale, par le passé, n’a pas réussi à se faire respecter, veut au moins être crainte».
De tels propos, qui sont légions sous cette forme, ne sont malheureusement source que de confusion.
Le problème principal posé par ces mots est lié à la personnification de quelque chose qui ne devrait pas être personnifiée : la Russie. Une telle phrase donne à la Russie une nature d’être agissant, soumis à des affects, et exprimant une volonté ou un désir. Or il est complètement différent de dire: M. Poutine souhaite être craint, que de dire la Russie veut être crainte. Ce glissement, de l’homme à la nation est un acte de confusion dont il faut absolument apprendre à se protéger. De même qu’il n’y a pas de Nation qui soit une personne, de Peuple qui soit une personne, de Gens qui soient une personne. A chaque fois que ces mots avec une majuscule sont proférés, il faut redouter le prophète qui par eux, veut affirmer sa puissance. Et il faut alors se rappeler, avec Spinoza, qu’il n’exprime que sa tristesse, et non la réalité.
Que M. Poutine ait des intentions, qu’il aime affirmer sa force, qu’il aime être craint, nous ne le nierons pas. Qu’autour de lui, des hommes de pouvoir, comme lui, partagent ces mêmes désirs. Que des hommes sur le terrain soient attirés par la violence, qu’ils soient mus par la haine, le désir de puissance, de violence…cela est vrai. Qu’il y ait en Ukraine, en Europe, dans le monde, chez certains hommes et femmes, à tous les niveaux, y compris (et peut être principalement) chez ceux qui ont le pouvoir, une fascination pour la violence, les bras de fer, le luttes viriles, l’honneur etc...c’est surement encore vrai.
Mais qu’il y ait partout, et sûrement majoritairement, en Ukraine, en Russie, et dans le monde entier, des gens pacifiques, soucieux de vivre dans la paix, dans la cordialité, prêt à aimer l’autre plutôt qu’à le détester, c’est aussi une réalité. Mais peu de prophète parlent en leur nom. Car le Dieu de la plupart des prophètes modernes est le «Marché», et que par constitution, le marché est lui-même violent, agressif, viril et pétri de haines.